Argumentaire

Lorsque Hegel s’interrogeait, dans ses cours d’esthétique, sur la « fin de l’art », ou sur sa « dissolution » (Auflösung), il concevait celle-ci comme une sorte de « dépassement » (Aufhebung) spirituel en faveur de la religion et de la philosophie, et non comme une mort matérielle. Mais cette fin de l’art marquait paradoxalement aussi un début : celui de son autonomie. Il ne s’agit donc pas d’une disparition physique de l’art, mais de sa profonde métamorphose : désormais, l’art sera détaché de sa destination absolue, il s’établira dans la contingence et s’affirmera davantage comme une production individuelle, exprimant la créativité d’une subjectivité.

L’art après la fin de l’art ne sera sans doute pas consensuel, il ne traduira plus l’« esprit d’un peuple » et les critères indispensables au jugement de sa qualité se relativiseront, s’individualiseront, voire se démocratiseront. L’art tendra en même temps vers une méta-discursivité de plus en plus ouvertement affichée et il sera plus sensible aux questions formelles, il théorisera ses particularités méthodologiques et génériques.

Selon de nombreux exégètes, la dissolution que Hegel prévoit s’applique au XIXe siècle, notamment à l’évolution (post-)romantique des arts et à ce que Bourdieu appellera, beaucoup plus tard, l’autonomisation du champ littéraire.

Mais ce questionnement sur la « fin de l’art », au double sens de « finis » et « telos », est bien antérieur aux interrogations hégéliennes et il revient de façon périodique (millénarismes et pensée apocalyptique, eschatologies, querelle des Anciens et des Modernes, principe avant-gardiste de la table rase)

  • La fin de l’art peut être catastrophique, violente et causée par des facteurs extérieurs, guerres, incendies, génocides. 
  • Elle peut aussi être entropique, le développement d’un parcours individuel ou collectif étant miné de l’intérieur, par différents facteurs, que la mélancolie a longtemps thématisés. 
  • Elle peut être historique, le système ou le modèle étant progressivement périmé et décrété obsolète, par un public immédiat ou différé, tel le Moyen Âge face aux chantres de la Renaissance. 
  • Enfin, l’esthétique, comme l’histoire des arts, et les artistes eux-mêmes, par un retour réflexif, ont envisagé de diverses manières la fin de l’art, comme dépassement ou épuisement. 

Nous nous poserons, entre autres, les questions suivantes :

  • Dans quelle mesure l’art théorise-t-il sa propre fin et quelles sont les conditions de sa renaissance ? 
  • Qu’est-ce qui est (encore) un objet artistique et quels sont les critères de son évaluation esthétique ?
  • L’art et la littérature sont-ils autotéliques et constituent-ils des champs autonomes ou prétendus tels ? 
  • Qu’appelle-t-on « progrès », « évolution » ou « décadence » dans le domaine artistique et à quel point ces notions sont-elles conditionnées par des idéologies ?

L’université d’été organisée par l’Université Charles, l’Université de Reims et l’Université de Padoue vise à explorer les caractéristiques et les évolutions de ce complexe de représentations et de réflexions, qui ont acquis dans l’Occident des XXe et XXIe siècles une actualité particulière, mais ont aussi, selon des modalités spécifiques, hanté d’autres époques. Ils concernent le devenir temporel entropique des œuvres, des arts, des artistes face à ce qu’on pourrait appeler l’utopie de l’éternité. La fin des arts peut se penser en termes de décadence, dépérissement, décrépitude, mais aussi de germe, renouvellement et table rase. Cette réversibilité possible est un des enjeux que les organisateurs souhaitent envisager. La perspective sera clairement intersémiotique, et n’entend pas se restreindre à un champ artistique spécifique.